Contribution de la CGT au CESER Centre-Val de Loire sur les question de santé.
Hôpitaux publics. Analyse globale et en Région
Il est très clair que notre région vit une situation similaire aux autres régions : manque de lits, de personnels, de matériels en tous genres.
Ce qui ressort principalement, c’est une désorganisation de tous les établissements de santé avec des directions et un encadrement incapable de gérer la crise. Quant au privé lucratif, il n’accueille pas les patients infectés ou peu.
Les personnels ne sont pas associés aux décisions, les organisations syndicales ne sont que très peu consultées, avec une rétention d’information très dangereuse de la part des directions. La médecine du travail est, elle aussi, peu sollicitée, voire écartée de tout, quand elle est présente.
Les organisations au sein des unités « covid » créées en catastrophe sont très variables d’un établissement à l’autre. Par exemple, alors qu’à Bourges il est question d’un ratio d’une infirmière et d’une aide-soignante pour 7 patients, à Châteauroux c’est une infirmière et deux aides-soignantes pour 20 patients avec travail en 12h !!
Il n’y a donc aucune directive précise par les ARS dans les départements, si ce n’est la consigne générale de cacher les informations et de rationaliser l’utilisation des dispositifs médicaux.
Concernant les tests de dépistage, là encore, aucune directive claire, nous sommes sur la gestion de la pénurie d’écouvillons avec une saturation des laboratoires en charge d’effectuer les tests. Certains résultats arrivent plus d’une semaine après. Certains hôpitaux testent systématiquement les soignants symptomatiques, d’autres pas du tout ou avec des critères très sélectifs sur la symptomatologie.
Le problème des masques et du matériel dans sa globalité est général : masques donnés au compte-gouttes et mis sous-scellés par les directions, stock géré par les ARS via les GHT en toute opacité. Les hôpitaux font des appels aux dons partout : masques, gants, sur-blouses, solution hydro-alcoolique, charlottes, sur-chaussures, écouvillons pour les dépistages…
Certains hôpitaux ont stoppé la polyvalence des salariés, ce n’est pas le cas partout. Les personnels deviennent donc vecteurs de contamination pour les patients dans des services à la base peu exposés au virus… Ces mêmes personnels à qui l’on refuse les dépistages, ce qui permet de minimiser les chiffres mais aussi de maximiser les contaminations entre collègues…
Notons que les visites sont interdites depuis plusieurs semaines, ce qui n’est pas sans conséquence sur les patients, notamment les plus âgés, qui, à défaut de mourir du covid, pourraient mourir de solitude.
En région comme ailleurs, la situation est catastrophique, il faut espérer qu’aucun incident supplémentaire ne s’ajoute puisqu’il n’y a quasiment plus de place dans les services de réanimation alors que nous n’avons pas atteint le seuil épidémique.
Globalement, il semble que le personnel soit très en colère, colère sur le manque de moyens mais surtout sur les attitudes scandaleuses des directions qui ont tout fait pour minimiser les risques en prenant les salariés pour des idiots sur les modalités de contamination et sur les conséquences de ces contaminations.
Les cadres et cadres sup ont pour certains déambulés dans les services de soins, confisquant le peu de masques à disposition malgré les suspicions de cas, en rappelant sans cesse les agents à leur droit de réserve oralement mais aussi par des notes de services répétitives.
Les personnels sont aussi surveillés sur les publications qu’ils pourraient faire sur les réseaux sociaux.
Nous ne sommes donc pas sur l’écoute et la « bientraitance » des personnels mais toujours sur un management menaçant et répressif.
Si tous les salariés avaient été équipés de masques il y a un mois, l’épidémie au sein des hôpitaux aurait pu être contenue. Mais le manque de matériel de protection et la polyvalence des salariés ont fait que l’épidémie s’est généralisée au sein des hôpitaux. C’est le même problème pour la population, condamnée au confinement, faute de protection. Les directions n’ont cessé d’expliquer aux salariés que le port du masque était inutile voire même qu’il contribuerait à alimenter une psychose générale infondée. Les salariés ont été traité comme des imbéciles, des incompétents et des paranoïaques… Nous voyons le résultat…
Les personnels prennent des risques pour eux-mêmes, pour leur famille qui sont contaminés à la sortie du travail, et ils portent maintenant la responsabilité des contaminations de patients.
Cette crise n’est que le résultat de 40 ans de régression sociale sur la gestion de la Sécurité Sociale par le patronat et les organisations syndicales réformistes, principalement la CFDT qui a accompagné toutes les réformes.
La France a perdu environ 100.000 lits d’hospitalisation en 20 ans, les effectifs qui allaient avec aussi. Dans la région comme ailleurs, les pertes de lits des dernières années ont été chiffrées, quantifiées, budgétées par les ARS à travers les plans régionaux de santé, déclinaison des décisions gouvernementales établies sous injonction de la commission européenne. Bruxelles, qui s’est opposé à toute forme de solidarité entre les états membres de l’UE en refusant une mutualisation de la dette générée par la crise sanitaire, notamment avec l’Italie qui comptabilise plus de 13 000 décès. Les détournements de matériels entre les mêmes pays de la zone euro sont aussi très révélateurs…
Le dernier Plan Régional Santé (2018-2022), toujours en cours d’application, a été grandement combattu par notre organisation, tout comme le précédent.
Pour rappel ce Plan Régional Santé en cours prévoit la perte de plus de 800 lits d’hospitalisation complète en Région Centre ainsi que la mutualisation de tous les centres d’appels SAMU. Depuis l’adoption de ce plan, de nombreux lits ont été fermés, les mutualisations des centres d’appels se poursuivent. Les unités de réanimation et de soins continus de chirurgie n’ont pas été épargnées. Rappelons que les hôpitaux locaux sont aussi très sollicités et accueillent les patients infectés, ces mêmes hôpitaux que le gouvernement entend démunir de maternité, d’urgence, de SAMU, de réanimation…
C’est malheureusement au cours de la crise sanitaire que nous traversons que l’on mesure toute la gravité de ces plans régionaux de santé : saturation des urgences, pas de place d’hospitalisation et pas de respirateur pour tout le monde. On assiste donc à une sélection des patients qui auraient le droit de vivre, et surtout de mourir ! Certains médecins ont d’ores et déjà prévenu qu’ils ne s’occuperaient pas des plus de 65 ans pour laisser la place aux plus jeunes. Quelle horreur ! Là-aussi, les critères de sélection sont dépendants des établissements et des médecins.
Tout en sachant que ces problématiques d’engorgement sont habituelles, elles ne peuvent donc qu’être majorées. Il faut aussi noter que toutes les restructurations en cours pour pouvoir accueillir les patients atteints se sont faites au détriment des autres patients. Patients non stables renvoyés chez eux sans moyens au domicile, déprogrammation des interventions qualifiées de « non urgentes ». La notion d’urgence est très aléatoire selon les cas, une cataracte peut être considérée comme non urgente mais qu’en est-il pour le patient qui ne voit rien ? On se demande légitimement où sont passés les patients hospitalisés habituellement.
Pour en revenir au combat mené par la CGT contre ce plan régional santé, notre pétition, qui avait réuni 60.000 signatures, avait permis ensuite la saisie citoyenne au Conseil Economique, Social et Environnemental Régional Centre-Val de Loire (CESER). Le rapport qui a suivi s’est construit auprès des professionnels de terrain, auditions des salariés, des élus du personnel et d’autres… Il a été adopté à l’unanimité le 25 février 2019. Grâce à la CGT, c’est le premier et le seul CESER à ce jour à s’être saisie de la question cruciale des hôpitaux publics et de l’accès aux soins. Malheureusement, il a été enterré assez rapidement au vu du constat et des préconisations allant à l’encontre des politiques libérales menées depuis trop longtemps. Adopté il y a maintenant un an, on peut considérer qu’il est obsolète et qu’il doit être retravaillé.
Concernant les dernières annonces du gouvernement, le Président de la République a évoqué un plan d’ampleur pour les hôpitaux le 12 mars dernier (sans préciser s’il s’agissait d’un plan destiné aux hôpitaux publics ou privés). Il a aussi dit ce même jour : « Beaucoup a été fait, sans doute pas suffisamment vite, pas suffisamment fort ». On peut en déduire qu’il veut donc taper plus fort…
Pour ce faire, il a demandé à la Caisse des Dépôts et Consignations d’y travailler.
Le journal Mediapart a révélé les contours de ce « plan » et titre le 1er avril : « Hôpitaux publics : la note explosive de la Caisse des Dépôts ».
Sur le fond, on y retrouve le plan Buzyn avec « Ma santé 2022 » et les grandes lignes des plans régionaux de santé. Parmi les mesures les plus significatives, citons :
1- Une restructuration -et non une annulation- des deux tiers de la dette des hôpitaux publics (l’Etat n’en a repris qu’un tiers à sa charge), accompagnée de la création d’un «fonds de dette» commun au secteur privé, prêtant à long terme «en hybride soit aux hôpitaux, soit préférablement aux mutuelles et aux fondations qui les détiennent avec une obligation de fléchage des ressources». En clair, un fonds de financement commun public/privé qui privilégie le secteur privé et pilote la destination des financements.
2 – Le recours massif aux Partenariats Publics Privés (PPP) en dépit de la succession des expériences négatives et des rapports accablants venant d’institutions nationales (cour des comptes, rapport d’enquête sénatoriale) et européenne (cour des comptes européenne). Cette dernière, qui n’est certainement pas à la pointe du combat antilibéral, constate néanmoins «le manque considérable d’efficience, qui s’est traduit par des retards de construction et par une forte augmentation des coûts», une opacité comptable qui compromet «la transparence et l’optimisation des ressources», une inadaptation de ces contrats de long terme à suivre «l’évolution rapide des technologies».
3 – Le basculement vers «la santé numérique », une solution miracle permettant de faire coup double : décharger l’activité hospitalière, et valoriser les investissements des nombreuses « start-up » (au nombre de 700, marché qualifié de peu mature, de modèle fragile, etc…) et des compagnies d’assurances et des mutuelles qui se sont lancées dans le financement de la télé-consultation. Elles viennent d’ailleurs de créer un consortium « Alliance digitale pour le Covid-19 » dans lequel on retrouve les principales d’entreelles : Allianz, AG2R la Mondiale, Malkoff, associées à la Banque Postale Assurances… Il s’agit en fait de faire face à la saturation du 15 non pas en lui allouant les financements publics nécessaires mais en proposant des solutions privées pour en réduire l’accès.
4 – La création de « contrat à impact social » notamment pour les patients atteints de maladies chroniques. On peut lire :
« Mettre en place un CIS (Contrats à impact Social) sur la formation des patients atteints de maladies chroniques (insuffisance rénale, diabétiques, insuffisant respiratoire), clairement quantifiable en termes de coûts évités pour la Sécurité Sociale. Ce CIS pourrait intégrer une incitation financière des médecins et des hôpitaux à prescrire le traitement à domicile vs. le traitement à l’ hôpital. »
Il s’agit de «responsabiliser» le patient par rapport à son état de santé et de lui en faire assumer le « coût » tout en l’autonomisant dans ses soins le plus possible.
5 – Dans le sillage de Donald Trump, une proposition de conversion de navires en navires-hôpitaux, dont les aspects techniques, médicaux et humains sont jugés hasardeux par nombre de professionnels, mais que l’on comprend mieux quand on sait que la CDC a des engagements financiers importants dans des commandes de paquebots aux chantiers navals que les compagnies de croisières, mises à l’arrêt par la pandémie, risquent de ne pouvoir honorer.
6 – Enfin, le meilleur pour la fin, faire sponsoriser par les grands organismes de recherche (Institut Pasteur, Institut Curie, Unicancer, etc…) « Un fonds de partage » auquel souscriraient investisseurs privés et institutionnels, avec reversement de revenus aux «sponsors» pour leur opération promotion. Avec la rapacité et le cynisme bien connus de la finance, quand elle flaire de bonnes affaires, il est dit sans ambages que «les conditions de lancement […] seraient assez favorables compte tenu de l’impact sur les valorisations corporate de la crise actuelle» et que «ce type d’opérations pourrait […] être lancé très rapidement dans des conditions compétitives et avec le soutien de la place». En langage clair, la pandémie du covid-19 va favoriser l’attraction boursière des placements financiers vers les secteurs de la santé. La finance n’hésite jamais à battre monnaie sur le malheur humain.
Nous comprendrons tous que le Président n’a donc pas pour objectif de placer l’hôpital «en dehors des lois du marché» ou alors, bien à sa façon… Il poursuit et accélère les réformes en cours dans une seule et même logique, dépecer les hôpitaux publics en faveur du privé et destruction du statut de la fonction publique hospitalière… Rien de neuf pour nous et les patients. L’heure n’est pas au progrès social.
Les grandes déclarations ne sont que des stratégies de communication visant à apaiser la colère des soignants, de leurs familles et des usagers qui mesurent aujourd’hui l’importance d’avoir des hôpitaux à hauteur des enjeux : la bonne santé de tous, l’intérêt général quoi.
S’il est important de faire grandir partout l’idée que le gouvernement devra rendre des comptes sur la gestion apocalyptique de cette crise, il ne faut cependant pas occulter dans nos explications, la responsabilité des gouvernements précédents et celles des patrons, qui sont épargnés de toute forme de justifications dans ce qui nous arrive. Pire le patronat, comme dans la période sombre de l’occupation Nazi, a fait le choix des profits, des gains des dirigeants et des actionnaires, contre l’intérêt général.
C’est donc dans ce contexte que nos revendications prennent tout leurs sens avec:
➢ Le 100% Sécu financé par les cotisations sociales et des caisses gérées par et pour les assurés.
➢ L’augmentation générale des salaires et l’égalité des salaires.
➢ L’appropriation publique des cliniques et maisons de retraite privées.
➢ Un grand service public de la recherche et de la production pharmaceutique avec un contrôle citoyen sur l’industrie du médicament.
➢ Appropriation publique de la recherche médicale.
➢ Appropriation publique de toutes les entreprises de production de matériels et dispositifs médicaux en tous genres.
➢ Après des décennies de purges austéritaires dictées par l’Union Européenne démantelant le secteur de la santé et de l’action sociale public, l’expérience de la pandémie que nous vivons, qui sera suivie d’autres, nous démontre qu’il est urgent et indispensable d’exiger un véritable plan National d’investissements pour répondre aux besoins de santé de la population. Plan qui ne saurait être dissocié du rôle et de la place de la Sécurité Sociale dans le financement, la prise en charge des soins et l’hôpital public. Investissements pour rétablir les plus de 100.000 lits d’hôpitaux supprimés avec les personnels attenants, pour rouvrir les établissements et services fermés par les gouvernements de droite et du parti socialiste.
➢ Suppression des agences régionales de santé, des groupements hospitaliers de territoires qui encore une fois durant l’épidémie du Covid 19 confirment ce que la Cgt n’a cessé de dénoncer : ils sont les bras armés du ministère de la santé pour gérer la pénurie, augmenter la productivité des personnels et mettre en musique les injonctions de l’Union Européenne sur le secteur sanitaire et social Français.
➢ Plan National d’embauche massive dans la fonction publique hospitalière pour remettre au niveau de ses missions l’hôpital public, conjugué à la mise en place d’un dispositif national de formation continue aux métiers relevant du sanitaire et du social, géré, financé et à disposition des salariés.
➢ La pénurie créée par la réduction du nombre d’admis aux formations notamment de médecins depuis des années avec le numerus clausus, impose de trouver des réponses immédiates dans un premier temps et, de décider en même temps, des ambitions nationales sur le long terme pour répondre aux besoins. Ainsi il est urgent de mettre en place un dispositif national de formation, décliné dans toutes les régions, permettant aux professionnels et praticiens venant des pays extérieurs d’obtenir des niveaux de formations équivalentes à celles dispensées en France et validées ensuite par des diplômes. En parallèle, d’élargir les capacités d’accueil et d’accès aux formations dispensées par les facultés de médecine, ce qui pour la Région Centre Val de Loire exige de doubler les capacités dans le cadre d’une coopération avec Tours.
➢ En finir avec la gestion financière de l’hôpital public par la suppression de la tarification à l’acte, l’autonomie des établissements dans la logique de mise en concurrence entre les services et établissements.
➢ Rompre avec la dictature de la dette de l’hôpital public créée par la loi de 1973 d’obligations d’emprunts sur les marchés financiers, imposées au secteur public. Pour cela, effacement des dettes de tous les établissements. Pour imposer d’autres choix et faire obstacle à l’achèvement du système public de soins, de protection sanitaire et social, il est impératif de rassembler toutes les forces qui se sont opposées à son démantèlement, les personnels, les usagers en passant par les élus, pour engager un combat social et politique historique au service de l’intérêt général.
Blois – Avril 2020